Affaire Hush Money: Jour 21
Plaidoiries finales: La dispersion de Todd Blanche; la netteté de Joshua Steinglass
(L’avocat de Trump, Todd Blanche, fait sa plaidoirie finale mardi mardi 28 mai 2024 au tribunal pénal de Manhattan, à New-York. Dessinatrice d’audience: Jane Rosenberg)
(Trump suit la plaidoirie finale de son avocat Todd Blanche. Dessinatrice d’audience: Jane Rosenberg)
Après une plaidoirie finale dispersée bâtie principalement sur la réfutation des « mensonges » de l’ex-fixeur Michael Cohen, l’avocat de Trump, dans sa conclusion, commet l’impudence de dire aux jurés:
Puis il [Cohen] est venu ici, il a levé sa main droite et a menti à chacun d’entre vous de manière répétée. Vous ne pouvez pas condamner quelqu’un sur la base des paroles de Michael Cohen!
Après la sortie des jurés, le substitut du procureur, Joshua Steinglass, qui présentera la plaidoirie finale du ministère public, se lève promptement pour objecter:
C’était là un effort flagrant et totalement inapproprié de solliciter de la sympathie pour leur client.
Steinglass demande que le Juge Juan Merchan donne une «instruction curative » aux jurés.
Le juge Juan Merchan tance alors vertement Blanche:
Vous savez bien que faire un commentaire de cette sorte est extrêmement inappropriée. Ce n’est pas permis. Un point, c’est tout! Ça m’est difficile d’imaginer de quelque façon que ce soit que c’était par accident!
Le Juge Merchan fait alors référence à la carrière de procureur expérimenté de Blanche avant de dire qu’il donnera une « instruction curative » aux jurés pour ce « commentaire ridicule ».
Des observateurs se demandent aussi s’il n’y avait pas moyen de remettre en cause le témoignage de Cohen sans l’accabler, à la manière de Trump, de tous les noms d’oiseaux—comme par exemple le traiter de « MVP (Most Valuable Player: joueur-vedette) des menteurs » ou de « G.L.O.A.T » (Greatest Liar of All Time : le plus grand menteur de tous les temps »).
Après la pause déjeuner et le rappel par le substitut du procureur Susan Hoffinger que la remarque de Todd Blanche était délibérée, le Juge Juan Manuel Merchan donne l’ « instruction curative » suivante aux jurés:
Lors de la conclusion de la défense, M. Blanche vous a essentiellement demandé de ne pas envoyer l’accusé en prison. Ce commentaire-là était inapproprié et vous devez l’ignorer. Dans vos délibérations, vous ne pouvez pas discuter, prendre en considération ou même spéculer sur des questions liées à la sentence ou à la punition.
Après quoi, c’est au tour du substitut du procureur Joshua Steinglass de délivrer la plaidoirie finale du ministère public.
L’un des arguments percutants de Steinglass:
Nous n’avons pas choisi Michael Cohen d’être notre témoin. Nous ne l’avons pas choisi dans un magasin de témoins. L’accusé avait choisi Michael Cohen comme son fixeur parce qu’il était disposé à mentir et à tricher pour son compte.
Steinglass ajoute que Trump avait choisi Cohen « pour les mêmes qualités » que ses avocats « vous prient maintenant de rejeter son témoignage ».
Steinglass:
Cette affaire ne concerne pas Michael Cohen. Elle concerne M. Trump et s’il doit être redevable pour avoir fait de fausses écritures dans ses livres de compte. Si lui et son personnel l’ont fait pour dissimuler une interférence électorale.
La grande reporter de The New Times Maggie Haberman, qui est présente dans la salle d’audience, remarque à un certain point:
Ce qui est frappant sur la plaidoirie finale de Joshua Steinglass, c’est que [Steinglass] est en train de raconter un récit ayant un arc narratif tandis qu’il cherche à démanteler les arguments de Blanche. Blanche a soulevé et laissé tomber beaucoup de choses si différentes qu’au final il n’avait rien à bâtir avec son argumentaire qui était si difficile à suivre.
(Le substitut du procureur Joshua Steinglass lors de sa plaidoirie finale. Dessin d’audience via VOA)
C’est avec méthode que Steinglass éclaire la « montagne de documents » corroborant le témoignage de Cohen—mais sans s’attarder outre mesure sur les révélations fracassantes de l’ex-fixeur, pour laisser les documents parler d’eux-mêmes.
Le plus étonnant aussi, c’est que malgré sa plaidoirie-fleuve, Steinglass parvient à tenir en haleine les jurés et l’auditoire le plus clair de son temps.
Et quand Steinglass sent la fatigue gagner le jury, il parsème son soliloque de bons mots, comme celui-ci:
L’accusé n’a pas vraiment payé un avocat, il a payé une star du porno en faisant passer l’argent par le biais d’un avocat.
Pour réfuter l’un des arguments de Blanche selon lequel Trump n’était pas vraiment au courant des détails des chèques qu’on lui faisait signer pour rembourser Cohen, Steinglass cite l’un des livres de Trump:
Quand vous signez vous-même un chèque, vous voyez ce qui se passe réellement dans votre entreprise, et si les gens voient votre signature au bas du chèque, ils savent que vous les regardez, et ils vous pigeonnent moins parce qu’ils ont la preuve que vous faites attention aux détails.
Assez incroyablement, même après plus de trois heures à écouter la présentation de Joshua Steinglass, « les jurés semblent concentrés sur la plaidoirie finale du ministère public » selon la reporter Erica Orden de Politico.
Joshua Steinglass conclut sa plaidoirie en rappelant aux jurés ce principe fondamental:
La loi est la loi et elle s’applique de manière égale à tout le monde. Il n’y a pas de norme spéciale pour cet accusé.
Mais le substitut du procureur Steinglass commet alors volontairement l’erreur de commencer à paraphraser le fameux dicton de Trump:
Donald Trump ne peut pas tirer sur quelqu’un sur la 5ème Avenue…
Ce qui soulève l’objection de l’avocat de Trump Todd Blanche, objection soutenue par le Juge Merchan.
Steinglass commençait à faire allusion à la fameuse sortie de Trump lors de sa campagne en janvier 2016:
Je peux me tenir au milieu de la Cinquième Avenue [de New York] et tirer sur quelqu’un, et je ne perdrai aucune voix, okay? C’est—comment dire—incroyable!
Malgré l’objection, Steinglass aura quand même planté l’idée que Trump se fait de son impunité dans l’esprit des jurés.
Il termine par ces mots:
Dans l’intérêt de la justice et au nom des citoyens de l’État de New York, je vous demande de juger l’accusé coupable. Je vous remercie.
Le substitut du procureur Joshua Steinglass aura parlé pendant « 4 heures et 41 minutes » selon un reporter de CNN qui l’a chronométré.
Il est un peu plus de 20 h lorsque le Juge Juan Manuel Merchan remercie les jurés. Après leur sortie, il avertit les avocats que dès qu’il aura commencé ses instructions aux jurés aucun de leurs invités ne sera autorisé de sortir de la salle d’audience.
Mais plus tôt en milieu de matinée, pendant que Trump suivait la plaidoirie finale de son avocat Todd Blanche dans la salle d’audience, l’acteur Robert De Niro était dehors, en train de tailler en pièces l’ex-président—le taxant de « clown » dont s’est accommodée sa ville natale de New-York pendant assez longtemps. Si en 2016, dit-il en lisant son script, on a cru que c’était une bonne « blague » quand on a vu ce « bouffon » se porter candidat à la présidence, oubliant les « leçons de l’Histoire qui nous ont montré qu’il y avait eu d’autres clowns qui n’étaient pas pris au sérieux jusqu’à ce qu’ils fussent devenus des dictateurs vicieux ; avec Trump, nous avons une seconde chance, et personne n’est en train de rire maintenant (…) On ne voudrait pas se réveiller après l’élection et se dire: ‘Quoi? Encore? Mon Dieu! Que diable avons-nous fait???’ »
https://www.nytimes.com/live/2024/05/28/nyregion/trump-trial-closing-arguments/51c0a72d-87ae-530d-a16d-682bf16ecdce?smid=url-share
https://www.politico.com/live-updates/2024/05/28/trump-hush-money-criminal-trial/all-juror-eyes-on-steinglass-00160310